MAH : et si on parlait d’architecture

Les semaines précédant la votation sur l’extension du Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH) ont été propices à toute sorte de commentaires journalistiques. Evoquant tour à tour les désaccords de point de vue sur le financement, les querelles des partis « pour et contre », les divergences sur la maîtrise du budget, la position politico-idéologique inconfortable du magistrat en charge des constructions, ces articles n’ont laissé, pour la plupart d’entre eux, que peu de place à la question de fond : l’analyse du concept architectural. Car de quoi parle-t-on dans nos sociétés actuelles ? En général de tout, sauf de projet. Par crainte d’aborder les questions culturelles? Par peur d’élever un tant soit peu un débat qui tient plus de la joute verbale que de l’échange intellectuel ? Par manque de connaissance des données ce qui conduit généralement vers une vision réductrice et démagogique des enjeux ?

Le MAH originel est un bâtiment du vingtième siècle (1903-1910) construit bien après la période dite faziste, celle du démantèlement des fortifications qui a donné jour au quartier des Tranchées. Il s’implante de manière remarquable à une articulation urbaine à la fois en plan et en coupe, absorbant par sa masse imposante les deux niveaux de la cité, tout en s’accrochant aux deux ponts de la rue Charles-Galland, qui marque son entrée principale. Son langage architectural est typique de cette période éclectique de fin de siècle dont les derniers avatars construits ont fait le lit de la critique qui a permis l’éclosion du Mouvement moderne. Le dessin de Marc Camoletti est certes d’une grande qualité « Beaux-Arts », mais il n’a pas pour autant révolutionné l’histoire de l’architecture.

La cour de la discorde. Si personne ne remet en cause la préservation du volume bâti et de son rapport à la ville préalablement décrit, il n’en va pas de même pour « l’offense » faite à sa cour que certains milieux de la conservation du patrimoine tentent de mettre en avant comme étant un crime de lèse-majesté. Personne ne s’est récemment publiquement positionné sur la définition de cette cour qui n’est qu’un espace de représentation, que l’on voudrait faire passer pour une lointaine référence aux palais italiens de la Renaissance. Ce lien historique peine à trouver justification à mes yeux. Son niveau de référence se situe en effet un étage en dessous de celui de l’entrée et sans connexion avec les boulevards le bordant. Son portique en arcs plein cintre ne distribue rien d’autre qu’arrières salles et dépôts. Un lieu fermé, un espace extérieur somme toute assez factice sans continuités qu’idéalisent les pourfendeurs de l’extension muséale nécessaire. Le MAH ne se situe pas dans un registre culturel tel que l’Altes Museum de Berlin (Karl-Friedrich Schinkel, 1826-1830), par exemple, où la majesté néoclassique de l’ouvrage transcende les genres par la rigueur absolue de son plan et de sa coupe et encore moins dans celui du Palais Farnese (Antonio di Sangallo et altr., 1517-1589) dont le dessin de la cour rivalise d’apparat avec celui de la façade majeure tournée sur la place qui lui offre son parvis.

La question du maintien de la substance patrimoniale est une chose sérieuse au sujet de laquelle il convient de porter un regard à la fois historique et  scientifique mais dénué de tout affect romantique. Le diagnostic posé sur le MAH il y a quelques années a abouti à la conclusion que le maintien de l’activité muséale dans ce lieu, impliquait le gain substantiel d’espaces complémentaires. Le projet de Jean Nouvel, et ses associés genevois, y avait répondu en 1998, en proposant une alternative consistant à une intervention à l’intérieur de cette cour. Au caractère somme toute artificiel de cet espace répond un concept qui empreinte les arcanes du détournement. A quelques cent ans d’intervalle, n’est-ce pas une belle inversion que propose l’architecte quand il redonne à ce lieu une fonction distributive effective, bien que revisitée, et lui confère un sens qu’il n’a peut-être jamais été capable de véhiculer ?

Une belle thématique architecturale. Remplir la cour d’un bâtiment historique n’est pas une nouveauté architecturale dans le monde de l’exposition (voir le Département des Arts de l’Islam, cour Visconti, Musée du Louvre, Rudy Riciotti et Mario Bellini, 2004-2012), ni même l’idée d’instrumentaliser celle du MAH. En effet pendant de nombreuses années, les étudiants du Professeur Vincent Mangeat, dans le cadre académique de l’EPFL, se sont attelés à formuler des réponses sur ce thème qui permet de rendre intérieur ce qui ne l’était pas. Le premier « projet Nouvel » pour le musée genevois, affichait une étonnante radicalité en occupant entièrement le vide central et en exhibant sa volumétrie au dessus des faîtes de l’ancien bâtiment. La perte de la spatialité intérieure fut critiquée et remise en question. L’évolution des études a quelque peu éteint ce souffle premier. De l’envolée lyrique française de départ, le projet est à l’arrivée plus politiquement et helvétiquement correct. Les compromis ont permis de gagner en qualité de lumière naturelle qui s’introduit de manière plus subtile au cœur de l’édifice.

Car c’est bien à l’aune de cette relation très ténue entre une façade de pierre – qui deviendra un décor intérieur – et un assemblage de métal et de verre, que sera jugée la valeur du projet proposé. Au delà de toutes discussions stériles, l’attention devra être portée sur sa capacité à introduire les nouvelles structures dans cette situation de renversement, où chaque intention constructive devra véhiculer la pensée originelle d’une insertion délicate au coeur du monolithe existant. Une attitude claire de contraste entre l’ancien et le nouveau, dont on pourrait arguer qu’elle date un peu du point de vue de la tendance actuelle de la transformation patrimoniale. Cependant mise en dialogue avec un bâtiment qui lui-même avait « un train de retard », j’y vois une belle ironie que les critiques du prochain siècle prendront plaisir à dévoiler.

Voulant à tout prix enterrer le projet par le référendum objet de la votation du 28 février 2016, certains opposants proposent d’enterrer complètement le nouveau musée. Dans ce qui se veut être une critique, mais qui est perçu comme un « contre-projet alternatif », et pour le rendre plus viable qu’un parking – ou une station des services industriels –, il s’agirait même de créer des ouvertures dans les deux murs de contention du remblai de la promenade de l’Observatoire. Autant dire s’engager dans une aberration aussi grande que les « étourderies » reprochées au projet Nouvel. Le résultat de ces antagonismes de « tranchées » cherche à pousser le citoyen genevois à dire non. Pour ne rien faire. Une fois encore. Des deux attitudes, soutenons la première qui conserve l’institution historique dans ses murs, révèle l’architecture existante et assume le dialogue entre la contemporanéité et la substance historique de Marc Camoletti.

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PS: ce blog a été publié la première fois sur la plateforme de l’hebdo.ch et le 18 février 2016 dans l’hebdomadaire.

Publié par

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.

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