Premières commandes (6) : Ecole des Acacias

Cet été, je parcours la Romandie par monts et par vaux à la redécouverte des premières œuvres de quelques bureaux d’architectes reconnus de cette région de l’ouest helvétique. Avec un recul de vingt années, ou plus, les réalisations présentées nous interpellent quant à l’évolution de la pensée architecturale contemporaine. Issus de concours ou de commandes privées, ces projets ont marqué les débuts prometteurs de leurs auteurs respectifs.

Au nord-ouest de l’ancien hôpital neuchâtelois des Cadolles, le développement d’une zone de logements sociaux s’est initiée à partir des années septante, pour se matérialiser principalement dans les années nonante prenant la place d’une verte campagne. La forme urbaine est peu dessinée car elle présente à ce paysage splendide aussi bien des barres, des barres pliées ou des plots, selon la terminologie des planificateurs. Au cœur de ce lieu, le petit groupe scolaire devenu nécessaire suite à la densification des habitations se compose de trois volumes distincts en terme de forme, de langage et de matière. Ils forment un tout qui semble avoir été pensé de telle manière qu’en arrivant sur ce site des hauts de la ville, on peine dans un premier temps à distinguer le neuf de l’existant. En effet, l’analyse plus précise permet de comprendre qu’une première petite école, un bâtiment en brique jaune, pré-existait à l’intervention des architectes, dont la mission a été d’ajouter des salles de classes et de créer une salle de gymnastique.

Hétérogénéité assumée. Ici ce ne sont pas les parties de bâtiment qui se déclinent en différentes matières, mais les bâtiments eux-mêmes : la brique pour la partie existante, l’Eternit pour le volume des salles de classes et le béton teinté en rouge dans la masse pour l’espace dédié à la pratique du sport. Le parti pris des auteurs a été d’instiller une forme d’ambiguïté, une espèce de doute quant à la perception de la nature des ouvrages, dans un lieu portant déjà en lui ces thèmes.

L’intégration par la différence est une approche assez particulière, et somme toute assez rare dans l’histoire de l’architecture contemporaine. Un des seuls exemples connus et représentatifs est le pavillon pour les invités de la famille Winton (Frank Gehry, Minnesota, 1982-1987) où chacune des pièces est formalisée par une volumétrie particulière et une matière différente. Si la question du fragment est abordée en référence à l’art moderne pour le modèle américain, la dissolution programmatique du projet neuchâtelois trouve ses sources dans une réponse au contexte urbain. En fin de compte, l’opportunité qui s’est présentée aux Acacias d’imposer comme postulat la diversité est restée une question théorique ouverte, qui n’a pas eu vraiment de suite depuis ces années-là.

Cette question du langage architectural n’élude cependant pas une approche fonctionnelle qui traverse l’ensemble bâti par sa rigueur et son efficacité. L’entrée se glisse entre les deux volumes les plus au sud, au niveau du préau, dans un espace de liaison qui s’effectue en demi sous-sol. De ce point, le regard se tourne vers la grande porte vitrée de la salle de gymnastique ou vers l’escalier qui conduit aux salles de classes. Malgré le caractère semi-enterré, la lumière naturelle réussit à s’immiscer depuis le haut, devenant ainsi un thème majeur du parcours architectural. Son traitement dans l’espace d’exercice sportif est à ce titre révélateur : la toiture semble flotter dans le ciel, suspendue qu’elle est par un système de câbles en acier, dont la courbe naturelle est revêtue d’une surface de bois naturel. L’interstice entre horizontale et verticale se veut être dématérialisé, pour ne révéler que l’apport de lumière qui marque sur les grands murs en béton brut les différents états de la course solaire au fil des saisons.

A l’image de l’enfance. Dans cet ensemble, l’agrégation des composants architecturaux devient un espace de réflexion ludique où les influences se mélangent. Un peu pêle-mêle, on y trouve, comme sortis d’un coffre à trésor où l’imaginaire des auteurs se serait évadé,  un préau couvert constitué de pilotis en métal posés en biais, à la manière d’un grand mikado – dont l’origine remonte peut-être à la médiatisation de la célèbre villa Dall’Ava située à Saint-Cloud (OMA-Rem Koohlaas, 1983-1991) – ; une alternance de pleins et de vides qui scandent les couloirs comme les comptines itératives de l’enfance ; un grand mur en béton rouge, dont le dessin du coffrage très précis est percé d’une unique fenêtre, offrant un regard sur le terrain de jeux ; des couleurs vives installées parcimonieusement pour accompagner les bambins dans leur déambulation sonore.

Ce projet est somme toute assez atypique dans le parcours des architectes neuchâtelois qui conçoivent à la même période le centre scolaire de Marcelin à Morges (1996-2003) possédant quant à lui une très forte unité expressive. Cependant l’école des Acacias est révélatrice d’une pensée sur le matériau dont l’emploi « éclectique » va se manifester au fil des années dans leur pratique : un bâtiment de logements en tuiles, un autre en pierre, une maison individuelle ou une salle de gymnastique triple en bois, un centre commercial en tôle ondulée perforée, une halle industrielle en verre, etc. Une façon de réinterpréter les acquis de cette première commande.

+ d’infos

Architectes : Laurent Geninasca, Bernard Delefortrie (aujourd’hui : gd architectes), avec Robert Monnier, Neuchâtel

Lieu : Neuchâtel

Dates : 1995-1997

Acquisition : Concours, premier prix

1995 : Les architectes ont respectivement 37 et 36 ans, Tadao Ando obtient le prix Pritzker, le prix Goncourt est décerné à Andreï Makine pour « Le testament français », le philosophe Gilles Deleuze disparaît, Cesária Évora sort son sixième album, « Cesária », le film « Underground » d’Emir Kusturica lui permet de décrocher sa deuxième Palme d’or à Cannes.

PS: ce blog a été publié la première fois sur la plateforme de l’hebdo.ch

Publié par

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente-cinq ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.

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