Inauguré il y a presque deux ans déjà, le « Léman Express » offre à la région genevoise une infrastructure ferroviaire qui se met au diapason d’une géographie humaine de près d’un million d’habitants et dépasse les frontières politiques. Cette liaison de transport public dont l’origine remonte à plus d’un siècle, permet de mettre 80% des habitations et 86% des lieux de travail à moins de 1.5 km (le fameux last mile) d’une gare et offre une opportunité pour aborder la révolution de la mobilité que notre planète réclame.
Ici, l’unité temporelle du parcours est combinée à l’unité spatiale conçue par l’architecte Jean Nouvel dans une vision pour une fois globalisante dans le dessin des stations. En effet, trop souvent la régie fédérale des transports pense chacune des gares de ses nombreuses lignes comme un projet isolé. à Genève, cet élan créatif qui, conjuguant un thème architectural rassembleur, ne va pas sans évoquer les délicieuses volutes parisiennes en fer forgé d’un Hector Guimard ou les interventions géométriques d’un Alvaro Siza et d’un Eduardo Souto de Moura pour le récent métro de Porto.
Au début des années 80’, Jean Nouvel avait illuminé la production architecturale d’alors, souvent empreinte d’un historicisme parfois rébarbatif, par ses projets que je qualifierais d’high tech poétique. Je pense ici à l’Institut du Monde Arabe (IMA) (1981-1987) ou les deux immeubles « Nemausus » à Nîmes (1985-1987), où la nature des matériaux rimait avec dimension, rigueur et spatialité. C’est à l’aune de ce triptyque conceptuel qu’ont été imaginées les cinq gares qui bornent le tracé du CEVA (Cornavin – Eaux-Vives – Annemasse) et que l’auteur décrit comme étant « un désir de clarté, de netteté, donc de la relation de la lumière à la matière, de la simplicité d’une structure qui puisse caractériser la traversée urbaine et paysagère ».
A Genève on retrouve l’âme du début de sa brillante carrière, avec une forme d’onirisme au service d’une œuvre concrète par excellence que sont les chemins de fer : la lumière y est omniprésente, entre attente et mouvement, entre silence et rumeur, entre ligne droite et courbe. Dans les stations les plus profondes, lorsque les rayons solaires n’arrivent pas à descendre le long des escaliers roulants, le relais est pris par des milliers de néons qui confèrent aux quais une ambiance caractérisante et qui s’adaptent aux configurations particulières de chaque station. Pour appuyer cette idée que la lumière devient un « questionnement poétique », l’architecte assigne à l’objet modal une métrique d’une rigueur mentale presque obsessionnelle, puisque 1’500 panneaux de verre identiques de 260 x 540 cm. composent la spatialité des gares, et ceci dans les trois dimensions : sols, murs et plafonds.
Il ne reste plus qu’à souhaiter qu’une réalité sociale et modale s’installe durablement, avec des quais bondés et des escaliers qui déversent leur flot de travailleurs pressés, de citoyens rêveurs ou de touristes émerveillés. Le voyage, celui qui transporte les êtres et leurs pensées intimes, se verra alors conjugué avec la précision de ces grandes plaques vitrées qui accompagnent ou créent la lumière : celle de l’astre solaire et celles de tubes fluorescents qui l’accompagnent, ou le remplacent. En quelque sorte, l’hommage de la technologie du vingt-et-unième siècle à l’éternité du cycle d’Helios.
+d’infos
1884 le peuple genevois est appelé à se prononcer pour la première fois sur une liaison entre Annemasse et Cornavin (https://www.ceva.ch/2017/05/11/historique/)
2004 concours lauréat (Ateliers Jean Nouvel, Paris & Eric Maria architectes, Genève)
2019 fin de chantier et mise en exploitation (15 décembre 2019)
Pour ma part je trouve ces gares bien froides, tristes, mortes… Tout sauf conviviales et agréables à l’usage, je plains les personnes âgées ou handicapées, les familles avec poussettes, les voyageurs emportant des vélos, et j’en passe: escalateurs et ascenseurs minuscules, absence de bancs, quais étroits… Parler d’émerveillement me dépasse.