Le 21 mai 2016, lorsqu’il reçoit le trophée pour le premier tournoi suisse de sa carrière, le tennisman Stanislas Wawrinka soupçonne-t-il qu’il a foulé de ses pieds un court dont le dessin est issu de la pensée moderne et dont peu de gens connaissent l’existence et la qualité? En effet, une fois démontées les pièces du mécano commun à toutes les manifestations provisoires – échafaudages, gradins, loges, chronomètres, banderoles publicitaires –, se dévoile une « architecture de paysage », nichée au cœur du Parc des Eaux-Vives, ce grand domaine bourgeois acquis par la Ville de Genève en 1912.
Ce court central est positionné en biais par rapport aux autres terrains du très chic club qui a accueilli la compétition, pour que son orientation réponde aux normes tennistiques internationales qui exigent un axe nord-sud de manière à minimiser l’éblouissement solaire. La surface officielle de 23.77 mètres par 8.23 mètres se trouve légèrement enfoncée dans le sol naturel où l’exact rectangle de terre rouge s’insère subtilement dans un écrin de béton aux angles adoucis par d’habiles rayons de courbure.

Réalisé en 1958, dessiné par les architectes genevois Jacques Bardet, Jacques Nobile et Alain Ritter – tous les trois membres d’un collectif d’architectes modernes connus sous le nom de Groupe 11 –, l’ensemble est actuellement magnifiquement conservé dans son état originel, aucune rénovation importante n’ayant été entreprise à ce jour. Dans cet espace dédié à l’activité sportive, la simplicité de l’intervention donne à voir une élégante mise en œuvre artisanale : les petites lames de bois ayant servi de coffrage au béton brut ont laissé une empreinte vivante dans la matière coulée qui, malgré l’usure du temps, confère à la surface un relief qui joue avec la lumière à la manière d’une ancienne pierre ; les barrières sont composées d’un simple profil marchand en acier peint qui souligne par sa délicate présence la forme de l’arène ; les marches d’escalier sont accrochées aux murs ; les gradins sont constitués d’éléments préfabriqués posés sur le sol. Mais, sur place, ce qui retient le plus le regard c’est le long muret qui se déroule sur le sommet de la pente herbeuse, marquant la limite entre la forêt et l’aire de jeu. Tel un ruban minéral émergeant de la prairie, cette intervention dépasse les habituelles conceptions que la modernité a pu développer dans son rapport à la nature. Elle évoque des domaines connexes, comme une installation qu’aurait pu concevoir un artiste du Land Art dans un désert immaculé, ou une forme organique issue de l’art des jardins contemporains.
Dans la pratique assidue de son sport, le joueur lambda, dont le regard est rivé sur la trajectoire millimétrée de la balle jaune, rejoint parfois la cohorte de ceux que Le Corbusier exhortait à se pencher sur leur environnement, à voir le monde différemment qu’à travers leurs « yeux qui ne voient pas » et à prendre en considération un contexte bâti dans sa dimension culturelle. Ce projet y participe de manière modeste mais néanmoins très didactique.
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PS: ce blog a été publié la première fois sur la plateforme de l’hebdo.ch

