En cet hiver 2022-2023, je revisite le patrimoine bâti genevois des années 1980 en collaboration avec la revue Interface. Grâce au relevé photographique de Paola Corsini, un petit retour dans le temps permet de prendre conscience de ce court moment charnière pour l’architecture du XXe siècle où l’histoire vient questionner la modernité qui s’achève.
L’immeuble d’habitation et commercial sis à l’angle de la rue de la Pélisserie et de la rue Frank-Martin est une intervention typique de cette période qui re-questionne l’histoire. Dans un lieu fortement marqué par la trace encore visible des anciennes fortifications, une rare « dent creuse » de la ville ancienne se présente à l’endroit précis de la fin des murailles de défense de la cité de Calvin. Les architectes Janos Farago et Joseph Cerutti prennent alors le prétexte de cette filiation géographique et historique pour développer un projet qui évoque l’archaïsme tout en restant foncièrement contemporain.
Accueilli par la critique comme étant « l’un des premiers exemples genevois d’architecture ’contextualisée’ » (1), le bâtiment affiche dans son socle une expression qui rend hommage à la notion de modénature, ici inscrite dans une matière coulée, celle d’un béton texturé et teinté. La réinterprétation du mur lourd et de la meurtrière, comme ouverture verticale étroite dans la masse, devient le support à une composition de façade très abstraite dans son graphisme, et très concrète dans l’assemblage des pièces réalisées en atelier de préfabrication. Le dessin de la façade du socle est inspirant en jouant de la thématique du biais, celui de la rue en pente, celui des stries dans le béton ou des tablettes de fenêtres en diagonale. La mixité des traitements de surface de béton, voire de pierre naturelle, est une des premières expériences locales de sortir de l’image de cette préfabrication considérée jusqu’alors comme étant juste un moyen efficace pour répondre à la demande croissante de logements ou d’édifices scolaires.
Là dans la ville haute, le mur devient une « lame de béton » qui forme un joint en creux avec le bâtiment existant sur la rue de la Pélisserie et crée l’accès à une petite galerie commerciale. Cette dernière, composée d’un jeu d’escaliers roulants et d’un petit atrium intérieur, accueillait un espace public dont l’incivilité latente de la société contemporaine a eu raison et provoqué sa fermeture. Des décorations et des murs très colorés renvoyaient à un univers un peu kitsch que défendait à l’époque le théoricien américain Robert Venturi dans son ouvrage « De l’ambiguïté en architecture » (1966).
Complexe par sa nature foncière, l’opération intègre un immeuble de la cité ancienne dans sa composition urbaine. La partie supérieure du volume neuf est d’une matérialité beaucoup plus simple, avec un crépi taloché de couleur brune. Les ouvertures proposent cependant des dessins variés, avec des verticales, des horizontales et deux fenêtres en « L ». Une petite tourelle carrée avec son toit en tuile surmonté d’un épi de faîtage évoque le langage architectural que développent à la même période certains architectes issus du mouvement italien de la Tendenza, comme Aldo Rossi.
+ d’infos
1) Jean-Marc Lamunière, L’architecture à Genève 1976-2000, In Folio éditions, 2007.
Adresse de l’immeuble : rue de la Pélisserie 16-18.
Architectes : Janos Farago & Joseph Cerutti, 1975-1983.
Voir aussi, Interface 36, « Les années 1980 à Genève », décembre 2022, avec des textes de David Hiler, Sabine Nemec-Piguet, Philippe Meier et Patrick Chiché, ainsi qu’une interview de Jacques Gubler.
> https://www.fai-ge.ch/_files/ugd/cba177_251367fab3ef4103b1c361abda063b59.pdf
Bonjour, connaissez-vous ce bâtiment en face de l’école des Crêts de Champel.
Les années quatre-vingt plein pot.
Un p’tit joyau architectural si l’on veut, parce-que isolé dans son îlot de verdure.
Quel prix pour celui-ci, construit aujourd’hui, quand la sobriété nous est imposée par l’économie des moyens.