Né sous une bonne étoile

Pour les amoureux de la batellerie de plaisance, le Star of Geneva évoque un navire de tourisme qui, depuis plus de cinquante ans, propose une inaliénable boucle lacustre de deux heures et offre une vue imprenable sur les propriétés bourgeoises, construites « pieds dans l’eau » au dix-neuvième siècle.

Une certaine image de Genève.

Pour les autres, attentifs au développement de la cité, le nouveau quartier de l’Etoile, dont les premières esquisses ont été dévoilées au public lundi 2 février 2015, est l’occasion de se projeter dans un avenir proche et de se prendre à rêver à cette promesse d’un possible regard sur le panorama urbain, la « tête presque dans les étoiles ».

Une autre image du canton.

Avec ses trois tours judicieusement placées en bordure de la ligne autoroutière qui trace un axe nord-sud parfaitement orienté, reliant l’Arve à la campagne entourant le bois d’Humilly, le futur pôle urbain s’installera au cœur du quartier « Praille-Acacias-Vernets » (PAV). Avec ses mille cinq cents logements, ses activités tertiaires, son nouveau Palais de Justice et ses espaces publics, cet ensemble définira spatialement la fin de la route des Acacias. Un enjeu majeur pour ce secteur qui offre un potentiel de près d’un demi-million de mètres carrés et qui marque un jalon pour l’entrée de la cité de Calvin dans le deuxième millénaire.

Car il ne faut pas s’y tromper, sous ses airs faussement conservateurs, la ville du bout du lac est aujourd’hui en train de donner une leçon de planification du territoire au reste de la Suisse, voire de l’Europe. En effet, au delà de cette actualité, c’est bien de la création d’une ville sur la ville dont il est question.

Petit rappel pour ceux qui auraient manqué le début

C’est en 2005, sous l’égide de quelques architectes affiliés à la Fédération suisse des architectes (FAS), que se lance un concours international d’architecture et d’urbanisme, sous le vocable ambitieux de « Genève 2020 ». Ayant constaté que la zone industrielle de la Praille, et son faisceau ferroviaire obsolète, offrait une occasion inespérée de repenser le développement urbain, ces quelques visionnaires posaient les bases solides d’un concept ancré dans une pensée durable. En effet, imaginer l’extension de la ville pour bénéficier des infrastructures existantes (modales, sociales ou culturelles), connecter un potentiel d’une dizaine de milliers d’habitants à la ville historique, se positionner hors des habituels sentiers battus du déclassement de zones non bâties, était en soi une idée hors de l’air du temps.

Elle avait de quoi surprendre une classe politique manquant de vision.

L’actualité de l’époque a retenu que l’ancien Conseiller d’Etat en charge de l’Aménagement, Laurent Moutinot, avait très maladroitement affirmé : « Il est désolant de voir de brillants esprits perdre leur temps en vaines spéculations intellectuelles » (Le Temps, septembre 2005). Dix ans plus tard, les instruments de planification ont presque tous été adoptés : une éternité pour le monde virtuel de la communication instantanée, mais une célérité inespérée dans le monde bien réel du développement territorial.

Le dynamisme de la planification genevoise

L’enthousiasme engendré par cette récente annonce étoilée ne doit pas céder le pas à une béate naïveté. Dans ce vaste chantier, il y a eu, et aura encore, des atermoiements typiquement genevois : tout ne peut pas briller à l’ouest de l’Helvétie. Cependant la reprise à leur compte du « concept PAV » par les différents successeurs de l’homme de gouvernement qui eut ce malheureux pronostic, et le soutien indéfectible à ce projet de la part de l’actuel chef de Département, Antonio Hodgers, sont des bases positives à l’évolution du lieu. Après la réflexion de papier, place à l’espace urbain et à la mise en forme de la matière : l’édification imminente du secteur de Lancy Pont-Rouge, la prochaine métamorphose de l’ancienne caserne des Vernets, la mutation progressive de la zone industrielle « Jacques Grosselin » ou la création du futur grand parc, sont les signes concrets que cette belle initiative intellectuelle n’est pas vaine.

C’est sous ces hospices favorables que les architectes lauréats du concours de l’Etoile, Gonçalo Byrne (Lisbonne) et Pierre-Alain Dupraz (Genève), ont maintenant la lourde et difficile tâche de concilier l’ensemble des partenaires fonciers, d’arbitrer les intérêts publics et privés, et ainsi de doter Genève de son outil de planification urbaine le plus ambitieux depuis les années soixante. Années durant lesquelles furent conçues et réalisées, en un temps record, les cités de Meyrin et du Lignon qui font aujourd’hui l’objet de toutes les attentions culturelles et patrimoniales. Car c’est bien par une vision contemporaine de la ville que se conçoit le tissu bâti qui constituera l’histoire de demain.

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PS: ce blog a été publié la première fois sur la plateforme de l’hebdo.ch

Publié par

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.

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